Depuis son rachat par BlueCo, Chelsea a mis en place une stratégie de recrutement particulière: recruter de très jeunes joueurs, et en grand nombre. L’idée c’est d’additionner les talents, de les accumuler puis de faire une sélection pour ne garder que ceux qui ont le niveau. Pour les joueurs qui signent à Chelsea, cela s’apparente à une loi de la jungle où les plus forts s’imposent et ceux qui échouent tombent dans l’oubli. La puissance économique de BlueCo et sa stratégie financière permettent au club anglais de n’avoir pratiquement aucune limite sur le marché des transferts.
L’aspect financier, une fausse question
En effet, même si les jeunes joueurs coûtent cher, une expérience manquée à Chelsea ne leur fait pas perdre toute leur valeur, le club londonien peut donc les revendre quand ils n’entrent plus dans leurs plans sans perdre trop d’argent, parfois même en réalisant des plus-values. Par ailleurs, le club est suffisamment puissant économiquement pour se permettre de perdre de l’argent en transferts si la revente est déficitaire. Les salaires ne sont pas un souci non plus, puisque le club londonien a développé une technique qui consiste à étaler les contrats sur des périodes très longues, ce qui permet de contourner le fair play financier.
Dès l’arrivée du consortium d’investisseurs BlueCo en mai 2022, le propriétaire Todd Boehly a vu les choses en grand. Sur ses 2 premiers mercatos, le club dépense 600 millions avec des recrues comme Enzo Fernandez a 120M pour seulement 60 millions de ventes. L’été suivant Chelsea dépense à nouveau des sommes énormes, 400 millions dont plus de 130 sur Caicedo, portant ainsi le bilan de BlueCo à 1 milliard de dépenses en l’espace de deux saisons. Les deux mercatos suivants se situent autour de 300 millions d’euros, même si le club réalise plusieurs ventes importantes. Si financièrement, cette stratégie n’est pas risquée, elle peut être inquiétante au vu du nombre de joueurs achetés qui peuvent rapidement connaître une période difficile pour leur progression. Nombreux sont les joueurs qui, attirés par l’ambitieux projet et les salaires proposés par Chelsea, y ont signé trop tôt et se sont brûlés les ailes.

Un danger pour les joueurs ?
Au-delà des sommes, c’est le nombre de joueurs recrutés qui est réellement inquiétant. Depuis l’arrivée des nouveaux investisseurs, le club recrute en moyenne 11 joueurs par mercato estival, soit l’équivalent d’une nouvelle équipe entière. Et inévitablement de nombreux joueurs ne parviennent pas à se faire une place dans cet effectif surchargé où la concurrence est très rude. C’est ainsi qu’en 2025, Chelsea a vendu 2 de ses 3 transferts les plus chers du mercato de l’année précédente (Joao Felix et Kiernan Dewsbury-Hall). La majorité des joueurs recrutés sous Boehly avant 2025 sont d’ores et déjà repartis, la continuité sportive ne semble donc pas être son fort. En 2025, Chelsea a également vendu pour plus de 300 millions, organisant une nouvelle refonte d’effectif, qui devient nécessaire pratiquement tous les étés.
Le mercato estival de 2025 témoigne amplement de cette stratégie d’accumulation. Le club londonien a démarré son mercato en recrutant Liam Delap avant centre de 22 ans auteur d’une saison pleines de promesses du côté d’Ipswich Town. Chelsea a également enregistré les arrivées prévues avant même le mercato, notamment Estevao ailier brésilien né en 2007, que tous les grands clubs européens se sont arrachés. Dario Essugo et Geovanny Quenda, respectivement milieu défensif et ailier droit du Sporting Portugal ont été acquis par le club de Todd Boehly pour la somme cumulée de 74 millions d’euros. Quenda ne rejoindra le club qu’en 2026, cela fait également partie de cette stratégie. Chelsea sécurise les joueurs en les achetant à prix d’or puis les laisse se développer encore dans leurs clubs, tout comme l’espoir équatorien Kendry Paez, ensuite prêté au club satellite, le RCSA (Racing Club Strasbourg Alsace). Chelsea récupère également le prometteur défenseur Mamadou Sarr de ce même Strasbourg avant de l’y prêter quelques semaines plus tard, dans cette même logique de sécurisation des talents. Le club dépense durant ce mercato 100 millions sur 2 ailiers gauches, Alejandro Garnacho et Jamie Bynoe Gittens, ainsi que 45M sur un arrière gauche de l’Ajax, Jorrel Hato. En attendant le dénouement de certains dossiers comme Raheem Sterling ou le cas Mudryk inculpé pour dopage, le club possède actuellement 12 joueurs à vocation offensive dans son effectif, et ce après avoir largement dégraissé et sans compter les joueurs en prêt et arrivées programmées pour 2026.
Le dossier lunaire des avant centres

Pendant la coupe du monde des clubs, Chelsea dépense 63 millions pour s’attacher les services de l’attaquant Brésilien Joao Pedro, alors que le club londonien possède Nicolas Jackson, Marc Guiu et Liam Delap à ce poste, respectivement arrivés en 2023, 2024 et à peine quelques semaines auparavant.
Joao Pedro, auteur d’une compétition exceptionnelle en inscrivant 2 buts ainsi que 2 passes décisives en 3 matchs, pose ainsi déjà la question de la nécessité de l’achat de Delap qui n’a encore pas pu faire réellement ses preuves. Marc Guiu et Nicolas Jackson sont donc poussés vers la sortie. Si le premier trouve rapidement une solution et est prêté sans option d’achat au promu Sunderland. Nicolas Jackson a du mal à trouver un point de chute en raison de son prix élevé, mais dans les derniers jours du mercato, le Bayern en recherche désespérée d’attaquant accepte un prêt payant de 16 M, assortie d’une option pouvant faire monter le transfert jusqu’à 80 millions. Mais, c’est le 30 août que la situation devient réellement absurde, lorsque Liam Delap se blesse dans le match qui oppose Chelsea à Fulham. Joao Pedro devient désormais l’unique avant-centre de métier, et Chelsea considère que même pour quelques temps, cela ne peut suffire. Une solution leur apparaît alors comme évidente, rappeler Nicolas Jackson qui sort tout juste de l’avion pour signer son contrat à Munich. Seulement le joueur et son agent, qui ne sont pas sentis respectés par le comportement de Chelsea tout le mercato le voient d’un autre œil, ils comptent bien signer au Bayern qui entend également aller au bout du transfert. S’ensuit un bras de fer de plusieurs heures qui se termine le lendemain, par le rappel de Marc Guiu de son prêt à Sunderland. Une chose est sûre, c’est pour le plus grand bonheur de Nicolas Jackson qui s’imaginait déjà cirer le banc au retour de Delap. Après avoir tenté tout l’été de s’en débarrasser, sans accepter toutes les offres pour autant et sans revoir à la baisse leurs demandes pour le laisser partir, Chelsea aura donc tenter d’annuler le transfert de Jackson pour l’utiliser un mois avant de probablement le remettre au placard. Voila aussi les conséquences du management de ce club.
Les dérives de la multipropriété avec Strasbourg
En juin 2023, la société BlueCo propriétaire de Chelsea et dirigée par Todd Boehly devient actionnaire majoritaire du Racing Club de Strasbourg Alsace au prix d’une transaction estimée à 75 millions d’euros. À partir de cette date, le club change de stature, avec une puissance économique considérablement accrue. Le premier mercato de l’ère BlueCo donne immédiatement le ton, le RCSA dépense 60 millions en transfert là où il en avait dépensé 7 l’année d’avant. Le club se fait également prêter Andrey Santos, de Chelsea, milieu brésilien très prometteur, ouvrant la porte aux dérives de la multipropriété. Strasbourg fini à la 13e place en Ligue 1, dans un exercice assez difficile malgré ce mercato conséquent. Ce qui marque surtout la saison strasbourgeoise c’est l’opposition des supporters à ce rachat, en particulier des ultras qui ne veulent pas devenir un club satellite de Chelsea et perdre toute identité. Le mercato suivant est encore plus dépensier. Le club alsacien dépense à nouveau 60 millions mais cette fois en n’encaissant pratiquement aucune vente pour amortir les dépenses. Le club recrute pas moins de 12 joueurs, auxquelles s’ajoutent 2 joueurs prêtés par Chelsea, se constituant ainsi un tout nouvel effectif. La grande majorité sont des jeunes à fort potentiel, se calquant ainsi sur la stratégie d’accumulation de jeunes espoirs de Chelsea. Après une série impressionnante au printemps, le club finit à la 7e place, à 3 points de la ligue des champions. Le mercato 2025 du Racing, désormais européen, atteint de nouvelles sphères. En comptant les options d’achats confirmées, le club recrute pendant l’été 18 nouveaux joueurs et dépense 127 millions d’euros en une seule fenêtre de mercato, plus que tout autre club français. Au total, 6 joueurs de Chelsea arrivent en Alsace, dans le cadre de transferts comme Chilwell ou de prêts comme Kendry Paez. Symbole de l’absurdité de cette situation, Ishé Samuels-Smith, acheté 7,5 millions par Strasbourg repart le 1er septembre à Chelsea pour une somme inconnue afin d’être prêté à Swansea par le club de Londres. Si le club vend pour environ 80 millions et amortit ainsi ses dépenses, l’impression reste la même : Strasbourg est devenu un Chelsea miniature, qui accumule les joueurs à fort potentiel.

Certains transferts font également apparaître Strasbourg comme un tremplin pour Chelsea. Le recrutement de Julio Enciso semble aller dans ce sens. Le célèbre journaliste italien spécialiste des transferts Fabrizio Romano décrit ainsi le transfert du paraguayen : “Le transfert de Julio Enciso vient d’être conclu par le groupe BlueCo. Il semble qu’Enciso rejoigne immédiatement Strasbourg dans le cadre d’un transfert définitif, avec un avenir potentiel à Chelsea.” (source X @FabrizioRomano). L’avenir de Strasbourg semble donc être tout tracé, les joueurs à fort potentiel qui n’ont pas encore leur place à Chelsea y signent afin de s’engager plus tard avec le club anglais. La situation autour d’Emmanuel Emegha, annoncé comme nouveau joueur de Chelsea à l’été 2026 dès le mois de septembre 2025 témoigne encore de ce côté tremplin pour le club londonien. Cette annonce de l’acquisition a beaucoup déplu aux supporters strasbourgeois qui voient comme une humiliation leur capitaine poser avec le maillot de Chelsea, encore plus aussi tôt dans la saison.
Dans une Ligue 1 où l’argent manque pour rivaliser avec les autres championnats, la multipropriété apparaît comme une solution pour certains clubs. Mais cette stratégie s’avère souvent être un échec, comme le démontre l’exemple lyonnais ou de l’Estac Troyes membre du City Group et désormais en Ligue 2. Pour BlueCo et Strasbourg, la situation est autre, la multipropriété permet au club de revoir ses ambitions, mais au prix de la perte d’une partie de son identité et de sa mise au service de Chelsea.
Sportivement, tous les voyants sont au vert (ou presque)
D’un point de vue sportif, le projet de Chelsea semble être enfin sur la bonne voie et promet un avenir radieux. En effet, à force d’accumuler les bons et jeunes joueurs, le club londonien s’est construit un effectif de grande qualité. Au fil des saisons, les jeunes Blues ont acquis de l’expérience et sont devenus des cadres pour certains comme Palmer, Caicedo ou encore Enzo Fernandez. Néanmoins, certains manquements restent dans cet effectif, notamment défensivement. La charnière centrale semble manquer de réelles réferences, encore plus avec les blessures à répétition de Fofana ainsi que l’indisponibilité pendant toute la saison de Colwill. Enfin, la question des gardiens est également un manquement. La saison dernière, Maresca a parfois remis en question la place de numéro 1 de Robert Sanchez qui, a vécu une saison 2024-2025 très difficile. Il manque donc tout de même à cette équipe des tauliers à des postes essentiels comme les défenseurs centraux et le gardien. Pourtant, leur recrutement ne se dirige pas vraiment dans cette direction sans réelle explication. L’ossature de l’équipe semble tout de même se dessiner et Todd Boehly a l’air d’enfin accorder sa confiance à un coach en la personne d’Enzo Maresca. Tout cela s’est d’ailleurs matérialisé la saison dernière par les deux titres remportés, Conference League et Coupe du Monde des Clubs ainsi que par la quatrième place qualificative en Ligue des Champions où Chelsea fera son retour après 2 ans sans participation. Les résultats sont donc à la fois satisfaisants à court terme et très encourageants sur le long terme. En effet, l’effectif est jeune et ne peut que s’améliorer et si l’on y ajoute les recrues programmées pour les années à venir ainsi que la possibilité de recruter les meilleurs éléments de Strasbourg, tout pointe vers un avenir radieux, à condition de mieux cibler les besoins et manques de cet effectif.
Bien que le foot soit un monde où l’imprévisible règne, et où on ne peut contrôler de quoi sera fait demain, BlueCo et Todd Boehly semblent avoir construit à Chelsea un empire qui réduit au minimum les risques liés à l’inconnue de l’avenir. Et si pour cela, Chelsea doit dépenser des sommes mirobolantes chaque été, accumuler les joueurs à chaque poste et se servir de Strasbourg comme d’un club satellite, Todd Boehly et son équipe sont prêt à passer par là pour atteindre leurs objectifs. Ainsi, le projet des Blues se rapproche de ce qui peut se faire de mieux du point de vue de la planification sportive et Chelsea a tout pour faire peur aux plus grands clubs européens sur la prochaine décennie.
